Fourmilière couplée à un système de surveillance
Programme de recherche : Les images opératoires, 2016
Matthieu Cherubini, chercheur invité, Caroline Bernard (Laboratoire Prospectives de l’image, ENSP)
Étudiantes ENSP: Mathilde Moignard, Prune Phi
Avec Datta Saurabh et Simone Rebaudengo du studio automato.farm pour l’aide au développement technique, Gaël Guilloux pour le soutien en design
Ce prototype de recherche est élaboré par une équipe mixte de chercheur.s.e.s et étudiant.e.s associé.e.s au laboratoire Prospectives de l’image dans le cadre du programme Images Opératoires. On entend par images opératoires, des images incluses à une opération technique et qui au delà de leur fonction de représentation du réel, contiennent des mesures, des flux, des cycles qui sont autant de données soumises à l’analyse algorithmique des machines. On les retrouve dans de nombreuses applications, médicales, civiles, ou militaires.
Le dispositif placé en surplomb de la fourmilière est un système de surveillance de type « top-down » à l’image des drones militaires. Une caméra, associée à un mécanisme permettant de se déplacer sur l’axe vertical et horizontal, est pilotée et influencée par le comportement des fourmis. Le programme analyse l’activité de la zone de chasse, partie visible et émergée de la fourmilière, il détecte les attitudes anormales ou déviantes des fourmis dans une dimension à la fois dérisoire et poétique. Cela confère un comportement de prédateur à cette caméra qui revêt alors une nature animale. La vidéoprojection permet de visualiser en temps réel la « pensée » de la machine en soulignant les données extraites des images et leur implication sur les agissements de la caméra.
L’usage de la fourmilière permet un glissement d’échelle en adaptant une machine de vision à une taille intelligible pour le spectateur. Ici, ce n’est pas tant les fourmis qui sont examinées que la caméra qui les observe. Le dispositif décrit la puissance des moyens de discrimination de l’algorithme puisque la captation des images permet une analyse factuelle et précise du comportement des fourmis. Pour autant, le programme est limité puisqu’il ne parvient pas sur la seule analyse des images à déclarer une intentionnalité globale de la fourmilière. C’est dans la partialité de cette analyse que s’insère la poésie, en référence aux questions éthiques que pose en permanence l’usage des drones militaires.
J’ai eu l’occasion de présenter ce dispositif au président de la République en juillet 2016. Nous avons parlé des enjeux prédictifs et de la difficulté de modéliser le vivant. Il a ri: «Modéliser le vivant, prédire l’avenir, oui, c’est difficile…» Dix jours plus tard, un camion fonçait sur la promenade des Anglais à Nice et tuait quatre- vingt-six personnes. Les semaines suivantes, enquêteurs et journalistes s’acharnèrent à remonter le fil des images de vidéosurveillance jusqu’à constater que le terroriste avait effectué quelques repérages. Les discussions dans les médias portèrent ensuite sur la capacité de ces images du passé à prédire l’avenir, tout en rêvant probablement à une certaine réversibilité de celui-ci, comme si remonter le temps des images et les décrypter pouvait renverser le temps tout court et éviter le pire.
Article « Calibrer la terre » de Caroline Bernard dans le n°12 de la revue Inframince